Découvrez une interview exclusive avec une décoratrice d’intérieur passionnée, présidente de l’UFDI, qui partage sa vision du métier, ses conseils pour réussir dans ce domaine exigeant, ses inspirations déco, et les coulisses de l’UFDI. Une plongée authentique dans l’univers de la décoration, entre tendances, réalité terrain, et valeurs de partage.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours et ce qui a éveillé votre passion pour la décoration d’intérieur ?
La flamme, je pense que je l’ai depuis que j’ai 13-14 ans. Déjà toute jeune, tout mon argent de poche passait dans la décoration de ma chambre. J’ai toujours aimé peindre, tapisser, aménager… c’est quelque chose de très naturel pour moi.
Professionnellement, mon parcours a d’abord été très différent : je suis biologiste de formation, avec une licence en sciences de la santé publique. Il y a 20 ou 30 ans, on ne parlait pas de la décoration comme on le fait aujourd’hui. Avec un père médecin et une mère prof de maths, faire des études artistiques n’était pas vraiment envisagé. Donc j’ai suivi une voie scientifique, mais ma passion ne m’a jamais quittée.
Comment êtes-vous passée du monde scientifique à celui de la décoration ?
À un moment, je me suis rendu compte que travailler dans un laboratoire ne me convenait pas. Et avec le papa de mes enfants, on a commencé à faire des brocantes, à vendre des meubles par passion. C’est devenu de plus en plus sérieux, jusqu’à ouvrir un grand magasin de meubles et de décoration dans le Brabant Wallon.
On a tout construit de zéro. Au début, on avait juste une vieille camionnette et cinq meubles, et on a terminé avec un magasin de 2 500 m² ! Mais à ce stade, on ne faisait plus que de la gestion : des commandes, des stocks, du personnel…
Qu’est-ce qui vous a poussée à changer de cap ?
Après une séparation, j’avais 50 % de l’entreprise. J’ai décidé de tout vendre. C’était beaucoup de travail, une énorme implication, et j’avais envie de faire autre chose, de revenir à quelque chose de plus personnel.
C’est là que j’ai décidé de proposer mes services en décoration d’intérieur, pour accompagner les gens dans leurs choix d’aménagement. C’est ainsi qu’est née Marie'S Home. C’est un long cheminement, que je développe d’ailleurs plus en détail dans ma formation.
Comment définiriez-vous votre style et votre approche en décoration ?
Je vois vraiment notre métier comme un métier artistique. Chaque décorateur ou architecte d’intérieur a sa patte, son style. Certains sont très éclectiques ; ce n’est pas mon cas. J’ai un style assez marqué, que je qualifierais de classique contemporain. Les gens me contactent souvent pour ce style-là. On me demande du "Marie'S Home", et ça me va très bien !
Vous proposez un service all-in-one personnalisé. En quoi cela consiste-t-il ?
C’est un service global. On prend en charge le projet de A à Z. Cela va de l’étude complète jusqu’à la mise en place finale : on choisit les produits, on gère tous les services, on va même jusqu’à visser la dernière ampoule chez le client si nécessaire !
Quelles évolutions avez-vous observées dans le secteur de la décoration ces 25 dernières années ?
Le Belge a toujours eu « une brique dans le ventre », c’est une bonne base pour nous. Mais ces dernières années, avec les émissions télé, les magazines, les rendus 3D, les gens sont plus ouverts à faire appel à des professionnels. Avant, faire appel à un architecte d’intérieur, c’était réservé à une élite. Aujourd’hui, ça s’est beaucoup démocratisé.
Il existe aussi des petits logiciels que les particuliers peuvent utiliser eux-mêmes, mais malgré cela, de plus en plus de gens viennent vers nous. Et nous, on s’adapte : on propose différents types de services, selon le budget et l’ampleur du projet.
Vous travaillez aussi sur de petits projets ?
Tout à fait. Contrairement à certains confrères qui n’acceptent que des projets à 200 000 €, moi je prends aussi des petits projets. J’ai autant de plaisir à aider des gens avec des budgets modestes. Même une simple séance de deux heures peut débloquer une situation et faire une grande différence. Et souvent, ces clients nous attendent un peu comme le Messie (rires).
Avec toutes les ressources en ligne et l’intelligence artificielle, pourquoi faire appel à un professionnel ?
Alors, très honnêtement, j’ai testé les outils d’IA. Et je trouve que ça ne vaut rien. Peut-être que dans dix ou vingt ans, ça sera différent, mais aujourd’hui, ça ne m’inquiète pas du tout. Certains de mes collègues sont plus inquiets, mais moi, pas du tout.
Quels éléments prenez-vous en compte pour un projet ?
Tout. C’est un ensemble : le lieu, l’architecture, les envies du client, son budget, les délais… Il n’y a pas un seul facteur, c’est vraiment une vision globale qu’il faut avoir.
Comment vous assurez-vous que le résultat final reflète bien la personnalité du client ?
Tout commence par une phase d’écoute très importante. Mais je dois dire que le client le plus difficile à gérer, c’est celui qui ne sait pas ce qu’il veut. Quand un client change d’avis toutes les deux semaines, c’est très compliqué à gérer. Il arrive même qu’on doive arrêter un projet dans ces cas-là, car c’est ingérable.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite redécorer son intérieur ?
Faire appel à un professionnel. C’est la meilleure manière de démarrer sereinement un projet.
Comment les nouvelles technologies influencent-elles votre travail ?
Les rendus 3D, oui, ça nous aide énormément. Mais le reste… moi je continue à me déplacer, à voir les produits en vrai, à toucher les matériaux, à m’asseoir dans un canapé. Ce n’est pas une IA qui va me dire s’il est confortable ou pas !
On l’a tous vécu pendant le Covid : on commande un canapé en ligne, il est superbe en photo… mais une fois qu’on s’assied dedans, c’est une horreur. Ça m’a vaccinée.
Comment vous tenez-vous informée des nouveautés et des tendances dans le domaine ?
Il faut faire les salons, c’est indispensable. Et puis, grâce à l’UFDI, on se retrouve entre membres toutes les 6 à 8 semaines. On va voir des artisans, des fournisseurs, on échange. On s’informe aussi sur Internet, on rencontre des représentants… C’est vraiment un travail quotidien.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il y a énormément d’heures derrière chaque projet qui ne sont pas facturées. Les gens pensent parfois qu’on vit très confortablement au vu de notre taux horaire, mais ce n’est pas comme chez un médecin où les patients défilent en salle d’attente. Nous, il y a beaucoup de temps passé en amont : repérages, recherches, rencontres, salons… tout ça fait partie du métier, même si ce n’est pas visible.
Y a-t-il une tendance actuelle en décoration qui vous inspire particulièrement ?
Le style tropical a eu son heure de gloire, mais c’est quelque chose qui commence à s’essouffler. Personnellement, je ne suis pas très "tendance". Je ne vais pas me dire : “C’est la mode, donc il faut mettre ça.” Évidemment, mes fournisseurs suivent un peu les tendances, donc je retrouve ces influences dans leurs produits, mais je ne vais pas imposer à mes clients du laiton ou du marbre juste parce que c’est à la mode. Tout dépend du client, de ses goûts, de la maison. Je ne me focalise pas là-dessus.
Parmi tous les projets que vous avez réalisés, y en a-t-il un qui vous a particulièrement marquée ?
C’est difficile à dire. Franchement, tous mes projets me plaisent. Il y a toujours quelque chose de particulier dans chacun : parfois c’est le résultat, parfois c’est la relation avec le client, parfois c’est l’histoire derrière le lieu. Je ne saurais pas en choisir un seul. Et puis, il faut savoir qu’entre le début d’un projet et sa finalisation, il peut facilement s’écouler plus d’un an.
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaite devenir décorateur d’intérieur ?
D’abord, j’ai un vrai souci avec le mot "compétition". Ce n’est pas du tout ma vision du métier. D’ailleurs, si j’étais dans cette logique, je ne donnerais pas cours. Je partage tout ce que je sais, sans retenue. Malheureusement, dans certaines formations que j’ai moi-même suivies, j’ai souvent ressenti une rétention d’informations, et ça m’a déçue. Quand on enseigne, on partage. Et beaucoup de mes anciens élèves sont aujourd’hui des collègues avec qui je travaille.
Je pense que le soleil brille pour tout le monde, à condition de rester respectueux. Le plagiat, par exemple, je ne le tolère pas du tout. J’ai déjà vu des gens s’approprier mes visuels 3D ou copier-coller mon site Internet. Dans ces cas-là, je n’hésite pas à faire appel à mon avocat.
Donc pour vous, ce n’est pas un milieu fermé ou concurrentiel ?
Pas du tout. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. Mais il faut être honnête et authentique. Et surtout, il faut travailler dur. Ce n’est pas parce qu’on aime la déco ou que son salon est bien aménagé qu’on fera un bon décorateur. C’est un vrai métier, avec ses exigences.
Quand je donne mes formations de 4 jours, je dis souvent : “Ce n’est pas parce que vos amies trouvent que votre intérieur est joli que vous êtes prêts à vous lancer dans ce métier.” Il y a une grosse différence entre aimer décorer chez soi et gérer un projet client de A à Z. Mon objectif avec la formation, c’est justement de donner une vision réaliste du métier. Et parfois, à la fin, certains me disent : “C’était super, mais ce n’est pas pour moi.” Et c’est très bien ainsi.
Quels sont selon vous les ingrédients indispensables pour réussir dans ce métier ?
Il faut être motivé, travailleur, et ne pas avoir peur de l’effort. C’est comme pour tout métier indépendant. Il faut avoir l’esprit d’entreprise, être bon gestionnaire, bon communicant, avoir de l’empathie… C’est un métier multicarte. Et il faut être conscient que tout ne sera pas toujours rose : il y a des hauts et des bas, des projets plus complexes que d’autres, mais aussi beaucoup de satisfactions.
Vous avez mentionné l’UFDI. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
L’UFDI, c’est l’Union Francophone des Décorateurs et Architectes d’Intérieur. J’en suis la présidente depuis trois ans, mais mon mandat s’achève en mai. C’est un réseau de professionnels basé sur l’entraide, le partage et la bienveillance. Aujourd’hui, nous sommes environ 220 membres, principalement en France, mais aussi quelques-uns en Belgique, une douzaine à peu près.
L’idée, c’est qu’à plusieurs, on est plus fort. On organise des réunions, on échange nos idées, on partage nos fournisseurs — ce qui n’est pas toujours évident dans ce métier ! Mais c’est vraiment le cœur de notre démarche. Il y a aussi des avantages concrets pour nos membres : des partenariats avec des marques, de meilleures conditions d’achat, une assistance juridique…
Comment rejoindre l’UFDI ?
C’est un processus sérieux. On reçoit beaucoup de candidatures, mais on en accepte peu. On veut que l’UFDI soit un gage de qualité. Il faut remplir un dossier assez complet, ce qui demande du temps. Les inscriptions pour 2024 sont déjà closes, mais elles rouvriront début janvier pour une rentrée en 2025. Il faut remettre son dossier avant le 30 septembre.
Donc l’UFDI, c’est à la fois un réseau professionnel et une communauté ?
Exactement. C’est une communauté dans laquelle chacun peut poser des questions, partager des idées, obtenir des conseils. Nous avons une page Facebook privée très active où les membres interagissent beaucoup. Et pour les clients, faire appel à un décorateur membre de l’UFDI, c’est aussi une forme d’assurance qualité.
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À travers cet échange, Marie Degaute nous offre un témoignage sincère et éclairant sur la profession de décorateur d’intérieur. Loin des clichés, elle nous rappelle que ce métier est bien plus qu’une affaire de goût ou de jolies images Pinterest. Il s’agit d’un engagement quotidien, fait de recherches, de rencontres, de gestion, de créativité et d’écoute.
Elle nous rappelle aussi que dans un monde souvent perçu comme concurrentiel, l'entraide, le partage de connaissances et le respect mutuel sont non seulement possibles, mais nécessaires pour faire progresser la profession.
Un grand merci à Marie Degaute pour son temps, sa gentillesse et son professionnalisme.